Face aux défis climatiques et à la hausse des coûts énergétiques, l’audit énergétique s’impose comme un outil stratégique pour les organisations et les particuliers. Cette démarche d’analyse approfondie des consommations permet d’identifier les gisements d’économies et de planifier les investissements nécessaires à l’amélioration de la performance énergétique. Au-delà de l’aspect technique, la valorisation juridique des gains générés constitue un levier majeur pour financer la transition énergétique. Entre dispositifs incitatifs, obligations réglementaires et mécanismes contractuels innovants, le cadre juridique français et européen offre de nombreuses opportunités pour monétiser ces économies d’énergie et accélérer la rénovation du parc immobilier.
Cadre juridique des audits énergétiques : entre obligations et incitations
Le droit français a progressivement renforcé les obligations en matière d’audit énergétique, tout en développant des mécanismes incitatifs pour encourager leur réalisation. La loi ELAN (Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) de 2018 et la loi Climat et Résilience de 2021 ont considérablement élargi le champ d’application de cette obligation.
Pour les entreprises, l’audit énergétique est obligatoire depuis la transposition de la directive européenne 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique. Cette obligation concerne les grandes entreprises de plus de 250 salariés ou dont le chiffre d’affaires annuel excède 50 millions d’euros. Ces audits doivent être renouvelés tous les quatre ans et couvrir au moins 80% de la facture énergétique de l’entreprise. Les entreprises peuvent s’exonérer de cette obligation en mettant en place un système de management de l’énergie certifié ISO 50001.
Dans le secteur résidentiel, la loi Climat et Résilience a instauré l’obligation d’audit énergétique pour la vente de logements classés F ou G (les fameuses « passoires thermiques ») à partir du 1er avril 2023, puis progressivement pour les logements classés E (2025) et D (2028). Cet audit doit proposer un parcours de travaux permettant d’atteindre la classe B, avec des étapes intermédiaires. Il constitue un document contractuel dont la valeur juridique s’apparente à celle d’un diagnostic technique.
Pour les bâtiments tertiaires, le décret tertiaire (décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019) impose une réduction progressive de la consommation d’énergie : -40% en 2030, -50% en 2040 et -60% en 2050 par rapport à une année de référence. L’audit énergétique devient ainsi un outil indispensable pour planifier cette trajectoire de réduction.
Au niveau des collectivités territoriales, l’audit énergétique s’inscrit dans le cadre des Plans Climat-Air-Énergie Territoriaux (PCAET) rendus obligatoires pour les intercommunalités de plus de 20 000 habitants. Ces plans doivent intégrer un diagnostic énergétique du territoire et définir une stratégie de réduction des consommations.
En parallèle de ces obligations, des mécanismes incitatifs ont été mis en place. Le crédit d’impôt pour la transition énergétique, remplacé par MaPrimeRénov’, peut prendre en charge une partie du coût de l’audit énergétique pour les particuliers. Les Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) valorisent également la réalisation d’audits énergétiques à travers des fiches d’opérations standardisées.
Qualifications requises pour la réalisation des audits
La valeur juridique de l’audit énergétique repose sur la qualification du professionnel qui le réalise. L’arrêté du 8 février 2016 précise que les auditeurs doivent détenir une qualification délivrée par un organisme accrédité par le COFRAC (Comité français d’accréditation). Pour les bâtiments, la qualification OPQIBI 1905 ou équivalente est requise. Pour les processus industriels, c’est la qualification OPQIBI 1717 qui est exigée.
Les Certificats d’Économies d’Énergie : un mécanisme de valorisation juridique des gains énergétiques
Le dispositif des Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) constitue l’un des principaux mécanismes de valorisation juridique des gains d’efficacité énergétique en France. Instauré par la loi POPE (Programme fixant les Orientations de la Politique Énergétique) du 13 juillet 2005, ce système repose sur une obligation de réalisation d’économies d’énergie imposée par les pouvoirs publics aux obligés – principalement les fournisseurs d’énergie – dont le volume est déterminé en fonction de leurs ventes.
La valeur juridique des CEE réside dans leur caractère cessible. En effet, ces certificats peuvent être échangés sur un marché dédié, créant ainsi une valeur économique pour les économies d’énergie réalisées. Cette caractéristique transforme une performance technique (économie d’énergie) en un actif immatériel valorisable financièrement.
Le fonctionnement du dispositif s’articule autour de plusieurs acteurs :
- Les obligés (fournisseurs d’énergie) qui doivent atteindre un quota d’économies d’énergie sous peine de pénalités financières
- Les éligibles (collectivités, bailleurs sociaux, etc.) qui peuvent obtenir des CEE pour leurs propres actions
- Les bénéficiaires (particuliers, entreprises) qui réalisent les travaux d’économies d’énergie
- Les délégataires qui achètent l’obligation des obligés et s’engagent à obtenir les CEE correspondants
D’un point de vue juridique, plusieurs types d’opérations permettent d’obtenir des CEE :
Les opérations standardisées, définies par des fiches préétablies qui précisent les conditions d’éligibilité et les montants forfaitaires d’économies d’énergie. Ces fiches, au nombre de plus de 200, couvrent divers secteurs (résidentiel, tertiaire, industrie, agriculture, transport) et sont régulièrement mises à jour par arrêtés ministériels.
Les opérations spécifiques, qui concernent des cas particuliers non couverts par les fiches standardisées. Elles nécessitent un calcul personnalisé des économies d’énergie et une validation par le Pôle National des CEE.
Les programmes, qui financent des actions complémentaires comme l’information, la formation ou l’innovation en matière d’efficacité énergétique.
La valorisation juridique des CEE s’effectue par leur enregistrement sur le Registre National des CEE géré par la société Powernext sous le contrôle de la DGEC (Direction Générale de l’Énergie et du Climat). Ce registre garantit la traçabilité des certificats et sécurise les transactions.
Le contentieux lié aux CEE se développe, notamment sur la question de la fraude. La DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) et le PNCEE (Pôle National des CEE) ont renforcé leurs contrôles, conduisant à des sanctions administratives et pénales en cas d’irrégularités. Les contentieux portent principalement sur la réalité des travaux, la qualification des entreprises intervenantes ou la validité des pièces justificatives.
Évolutions récentes et perspectives du dispositif
La 5ème période des CEE (2022-2025) a introduit plusieurs évolutions significatives : renforcement des contrôles, augmentation du niveau d’obligation (2500 TWhc), bonifications pour certains types de travaux, notamment ceux visant à décarboner l’industrie. La valeur juridique et économique des CEE s’en trouve renforcée, avec des prix de marché qui oscillent entre 5 et 10€/MWhc selon les périodes.
Contrats de performance énergétique : l’engagement juridique sur les résultats
Le Contrat de Performance Énergétique (CPE) représente l’un des instruments juridiques les plus sophistiqués pour valoriser les économies d’énergie. Défini par la directive européenne 2012/27/UE, il s’agit d’un « accord contractuel conclu entre le bénéficiaire et le fournisseur d’une mesure visant à améliorer l’efficacité énergétique, vérifiée et surveillée pendant toute la durée du contrat, aux termes duquel les investissements dans cette mesure sont rémunérés en fonction d’un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique qui est contractuellement défini ou d’un autre critère de performance énergétique convenu, tel que des économies financières ».
La caractéristique fondamentale du CPE réside dans l’engagement de résultat pris par le prestataire sur un niveau déterminé d’économies d’énergie. Cette particularité le distingue des contrats classiques qui ne comportent généralement qu’une obligation de moyens. D’un point de vue juridique, cette obligation de résultat renverse la charge de la preuve en cas de litige : c’est au prestataire de démontrer qu’il a atteint les objectifs fixés ou que leur non-atteinte résulte d’une cause étrangère.
Plusieurs modèles contractuels de CPE coexistent :
- Le CPE Services : il porte uniquement sur l’exploitation et la maintenance des équipements
- Le CPE Fournitures : il inclut le remplacement ou l’installation d’équipements spécifiques
- Le CPE Travaux : il comprend la réalisation de travaux de rénovation énergétique globale
- Le CPE Global : il combine travaux, fournitures et services
La structuration juridique d’un CPE s’articule autour de plusieurs éléments clés :
La situation de référence constitue la base contractuelle à partir de laquelle seront mesurées les économies d’énergie. Sa définition précise est fondamentale et fait souvent l’objet d’un audit énergétique préalable. Le protocole IPMVP (International Performance Measurement and Verification Protocol) fournit un cadre méthodologique reconnu pour établir cette référence.
Les objectifs de performance doivent être définis de manière précise et mesurable. Ils peuvent être exprimés en consommation d’énergie (kWh), en émissions de CO2 évitées, ou en économies financières. Ces objectifs sont assortis d’indicateurs de performance (KPI) qui permettront de vérifier leur atteinte.
Le mécanisme d’intéressement constitue le cœur économique du CPE. Il prévoit généralement un partage des économies réalisées entre le client et le prestataire. En cas de sur-performance, le prestataire perçoit une prime supplémentaire. À l’inverse, en cas de sous-performance, il verse une pénalité au client. Ce mécanisme peut être modulé selon différentes formules mathématiques définies contractuellement.
La durée du contrat est généralement longue (5 à 15 ans) pour permettre l’amortissement des investissements réalisés. Cette caractéristique soulève des enjeux juridiques spécifiques, notamment en matière de commande publique.
Le plan de mesure et vérification détaille la méthodologie de suivi des performances et de calcul des économies réelles. Il précise la fréquence des relevés, les capteurs utilisés, les corrections climatiques appliquées, et les modalités de reporting.
Spécificités juridiques pour les acteurs publics
Pour les personnes publiques, le CPE s’inscrit dans le cadre du Code de la commande publique. Il peut prendre la forme d’un marché public global de performance (MPGP) prévu à l’article L. 2171-3, ou d’un marché de partenariat (MP) selon l’article L. 1112-1. Le Conseil d’État a précisé dans un avis du 8 juin 2011 que le CPE pouvait être qualifié de contrat de performance énergétique au sens de la directive européenne quelle que soit sa forme juridique.
La jurisprudence relative aux CPE se développe progressivement, notamment sur les questions de définition de la situation de référence, d’ajustement des objectifs en cas de modification du périmètre, ou de qualification des causes exonératoires de responsabilité. Le Tribunal de commerce de Paris a ainsi eu l’occasion de statuer sur des litiges concernant l’interprétation des clauses d’intéressement et la méthodologie de calcul des économies réalisées.
Tiers-financement et sociétés de services énergétiques : innovations contractuelles
Le tiers-financement représente une innovation juridique majeure pour surmonter l’obstacle financier à la réalisation de travaux d’efficacité énergétique. Reconnu par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, ce mécanisme permet à un tiers d’avancer les fonds nécessaires aux travaux de rénovation énergétique, puis de se rembourser grâce aux économies d’énergie générées.
D’un point de vue juridique, le tiers-financement s’appuie sur plusieurs montages contractuels :
Le crédit affecté constitue la forme la plus directe de tiers-financement. La société de tiers-financement (STF) accorde un prêt au maître d’ouvrage spécifiquement destiné à financer les travaux d’efficacité énergétique. Ce prêt est remboursé par les économies d’énergie générées. Pour proposer ce service, les STF doivent obtenir une autorisation de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en application des articles L. 511-6 et suivants du Code monétaire et financier.
Le portage de travaux représente une forme plus intégrée de tiers-financement. Dans ce cas, la STF se substitue temporairement au maître d’ouvrage pour réaliser les travaux, puis lui revend l’ouvrage rénové, généralement via un contrat de vente à terme ou une location avec option d’achat. Ce montage soulève des questions juridiques complexes, notamment en matière de transfert de propriété, de responsabilité décennale et de TVA.
Les sociétés de tiers-financement (STF) ont un statut juridique particulier. Au niveau régional, elles ont généralement la forme de sociétés d’économie mixte (SEM) ou de sociétés publiques locales (SPL), comme Énergies POSIT’IF en Île-de-France ou Artéé en Nouvelle-Aquitaine. Ces structures bénéficient d’une dérogation au monopole bancaire prévue à l’article L. 511-6 du Code monétaire et financier, leur permettant d’octroyer des prêts pour la rénovation énergétique.
Les sociétés de services énergétiques (SSE) ou Energy Service Companies (ESCO) constituent un autre acteur majeur de ce secteur. Leur modèle d’affaires repose sur la rémunération par les économies d’énergie générées. D’un point de vue juridique, elles interviennent généralement via des contrats de performance énergétique (CPE) ou des contrats de services énergétiques plus classiques.
Le cadre contractuel du tiers-financement s’appuie sur plusieurs principes juridiques fondamentaux :
- Le principe de transparence impose une information claire sur les conditions financières, les économies prévisionnelles et les modalités de remboursement
- Le principe de proportionnalité exige que le montant des remboursements soit corrélé aux économies réellement générées
- Le principe de sécurisation nécessite la mise en place de garanties adaptées (hypothèques, cessions de créances, etc.)
La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a renforcé le cadre juridique du tiers-financement en facilitant le recours à ce mécanisme pour les copropriétés. L’article 86 de cette loi a notamment modifié l’article 26-4 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété, en précisant que les STF peuvent consentir des prêts collectifs aux syndicats de copropriétaires.
Enjeux juridiques liés à la garantie des économies d’énergie
La question de la garantie des économies d’énergie constitue un enjeu juridique majeur du tiers-financement. Plusieurs mécanismes contractuels permettent de sécuriser cette garantie :
La clause d’ajustement prévoit les modalités de révision des économies prévisionnelles en fonction des conditions réelles d’utilisation (climat, occupation, etc.). Elle s’appuie généralement sur des formules mathématiques complexes qui doivent être clairement définies dans le contrat.
La clause de partage des risques détermine la répartition des conséquences financières en cas d’écart entre les économies prévues et réalisées. Elle peut prévoir un partage proportionnel ou des seuils déclenchant des mécanismes spécifiques (pénalités, prolongation de contrat, etc.).
La clause d’assurance peut compléter ces dispositifs en transférant une partie du risque à un assureur. Des produits spécifiques comme l’assurance économies d’énergie se développent sur le marché, bien que leur coût reste élevé.
Valorisation financière et fiscale des investissements en efficacité énergétique
La valorisation financière et fiscale des investissements en efficacité énergétique constitue un levier majeur pour accélérer la transition énergétique. Le cadre juridique français et européen offre de nombreux dispositifs permettant de monétiser les gains énergétiques et d’optimiser la rentabilité des projets.
Le traitement comptable des économies d’énergie représente un premier enjeu juridique. Selon les normes IFRS et le Plan Comptable Général, les investissements en efficacité énergétique peuvent être comptabilisés de différentes manières :
L’immobilisation est applicable lorsque les travaux améliorent significativement la performance énergétique du bien et prolongent sa durée d’utilisation. Ces dépenses peuvent alors être amorties sur plusieurs exercices, ce qui étale leur impact sur le résultat comptable.
La charge concerne les dépenses d’entretien courant qui maintiennent simplement le niveau de performance existant. Ces dépenses sont déductibles intégralement sur l’exercice concerné.
Le provisionnement peut être envisagé pour anticiper des travaux d’efficacité énergétique rendus obligatoires par la réglementation (notamment le décret tertiaire). Cette approche reste toutefois encadrée par des conditions strictes définies à l’article 39-1-5° du Code général des impôts.
Sur le plan fiscal, plusieurs dispositifs permettent de valoriser les investissements en efficacité énergétique :
L’amortissement accéléré prévu à l’article 39 AA du Code général des impôts permet d’amortir sur douze mois les matériels destinés à économiser l’énergie et les équipements de production d’énergies renouvelables acquis ou fabriqués avant le 1er janvier 2030.
Le suramortissement de 40% instauré par la loi Macron et prolongé par la loi de finances pour 2019 permet aux entreprises de déduire de leur résultat imposable 40% du prix de revient des biens d’équipement éligibles, en plus de l’amortissement normal.
Le crédit d’impôt recherche (CIR) peut s’appliquer aux dépenses de R&D liées à l’efficacité énergétique, notamment dans le cadre de projets innovants. Ce dispositif, prévu aux articles 244 quater B et suivants du Code général des impôts, permet une réduction d’impôt de 30% des dépenses éligibles.
La TVA à taux réduit (5,5%) s’applique aux travaux d’amélioration de la qualité énergétique des logements achevés depuis plus de deux ans, selon l’article 278-0 bis A du Code général des impôts. Cette disposition concerne notamment l’isolation thermique, les équipements de chauffage performants et les systèmes de production d’énergie renouvelable.
Au niveau des collectivités territoriales, plusieurs dispositifs fiscaux locaux peuvent être mobilisés :
L’exonération de taxe foncière pour les logements économes en énergie, prévue à l’article 1383-0 B du Code général des impôts, permet aux collectivités d’exonérer de 50% à 100% de taxe foncière les logements achevés avant 1989 ayant fait l’objet de dépenses d’équipement destinées à économiser l’énergie.
La modulation de la taxe d’aménagement en fonction des performances énergétiques des constructions, permise par l’article L. 331-13 du Code de l’urbanisme, offre aux collectivités la possibilité de favoriser fiscalement les bâtiments performants.
Financement participatif et mécanismes innovants
Le financement participatif (crowdfunding) des projets d’efficacité énergétique s’est développé grâce à un cadre juridique adapté. L’ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 a créé un statut spécifique pour les plateformes de financement participatif, distinguant :
Les Conseillers en Investissements Participatifs (CIP) pour les offres de titres financiers
Les Intermédiaires en Financement Participatif (IFP) pour les prêts
Ces plateformes sont placées sous la supervision de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et de l’ACPR. Elles permettent de mobiliser l’épargne citoyenne pour financer des projets locaux d’efficacité énergétique, avec des avantages juridiques spécifiques comme le relèvement des plafonds de collecte pour les projets contribuant à la transition énergétique.
D’autres mécanismes innovants se développent, comme les obligations vertes (green bonds) et les contrats à impact (social impact bonds adaptés à l’environnement). Ces instruments financiers permettent de mobiliser des capitaux privés pour financer des projets d’efficacité énergétique tout en garantissant aux investisseurs une rémunération liée aux résultats obtenus.
Perspectives d’évolution du cadre juridique de la valorisation énergétique
L’évolution du cadre juridique de la valorisation des économies d’énergie s’inscrit dans une dynamique européenne et internationale de renforcement des ambitions climatiques. Plusieurs tendances se dessinent, qui vont façonner le paysage réglementaire des prochaines années.
Le paquet législatif européen « Fit for 55 » adopté en 2023 prévoit une refonte majeure de la directive sur l’efficacité énergétique (DEE) avec des objectifs contraignants de réduction de la consommation d’énergie de 11,7% d’ici 2030 par rapport aux projections de 2020. Cette ambition renforcée nécessitera un développement des mécanismes de valorisation des économies d’énergie dans tous les États membres.
La taxonomie européenne des activités durables, établie par le règlement (UE) 2020/852, constitue un cadre de référence qui influence déjà les flux financiers. En définissant des critères techniques pour déterminer si une activité économique contribue substantiellement à l’atténuation du changement climatique, ce règlement oriente les investissements vers les projets d’efficacité énergétique les plus performants. Les entreprises et les établissements financiers devront progressivement aligner leurs portefeuilles sur ces critères, créant une forte incitation à valoriser les économies d’énergie.
L’obligation de reporting extra-financier, renforcée par la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) adoptée en 2022, impose aux entreprises de communiquer sur leurs performances énergétiques et climatiques. Cette transparence accrue valorise indirectement les investissements en efficacité énergétique en améliorant l’image et l’attractivité des organisations vertueuses.
Le développement des marchés carbone et l’extension du système d’échange de quotas d’émission (SEQE-UE) à de nouveaux secteurs comme le bâtiment et le transport routier, prévue pour 2027, offriront de nouvelles opportunités de valorisation financière des réductions d’émissions liées aux économies d’énergie. La loi Climat et Résilience a d’ailleurs anticipé cette évolution en créant un mécanisme de compensation carbone volontaire encadré par l’article L. 229-55 du Code de l’environnement.
Au niveau national, plusieurs évolutions juridiques sont attendues :
Le renforcement du dispositif des CEE pour la 6ème période (2026-2029), avec une probable augmentation des obligations et une révision des fiches d’opérations standardisées pour mieux prendre en compte les enjeux de décarbonation.
L’extension du diagnostic de performance énergétique (DPE) à de nouvelles catégories de bâtiments et le renforcement de sa valeur juridique, déjà amorcé par sa opposabilité depuis juillet 2021.
Le développement d’un cadre juridique pour les communautés énergétiques citoyennes, prévu par la directive (UE) 2019/944 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, qui permettra de nouvelles formes de valorisation collective des économies d’énergie.
La digitalisation de la valorisation énergétique constitue une autre tendance majeure. Les contrats intelligents (smart contracts) basés sur la technologie blockchain permettent d’automatiser le suivi des performances énergétiques et le déclenchement des paiements liés aux économies réalisées. Cette innovation technologique soulève des questions juridiques inédites en matière de preuve, de responsabilité et de protection des données.
Vers une approche intégrée de la valeur énergétique
L’évolution du cadre juridique tend vers une approche plus intégrée de la valeur énergétique, prenant en compte l’ensemble du cycle de vie des bâtiments et des équipements. Cette tendance se manifeste par :
Le développement des analyses en coût global, intégrant les coûts d’investissement, d’exploitation, de maintenance et de fin de vie. Cette approche, encouragée par la directive 2014/24/UE sur les marchés publics, modifie profondément les critères de décision d’investissement.
La prise en compte de la valeur verte des biens immobiliers, c’est-à-dire la plus-value liée à leur performance énergétique. Plusieurs études, dont celles des Notaires de France, ont démontré l’impact positif d’une bonne étiquette énergétique sur la valeur des biens. Cette valorisation patrimoniale constitue un argument supplémentaire en faveur des investissements d’efficacité énergétique.
L’intégration des bénéfices non énergétiques (BNE) dans l’évaluation des projets, comme l’amélioration du confort, de la qualité de l’air intérieur ou de la productivité des occupants. Ces co-bénéfices, bien que difficiles à quantifier juridiquement, représentent souvent une part significative de la valeur créée par les projets d’efficacité énergétique.
La valorisation des investissements en efficacité énergétique s’oriente ainsi vers une approche plus holistique, prenant en compte l’ensemble des bénéfices économiques, environnementaux et sociaux générés. Cette évolution nécessite des innovations juridiques pour capturer et monétiser ces différentes formes de valeur.
L’audit énergétique comme levier stratégique de création de valeur
Au-delà de son aspect technique, l’audit énergétique s’affirme comme un véritable outil stratégique de création de valeur pour les organisations. Sa valorisation juridique dépasse le simple cadre réglementaire pour devenir un levier de transformation et d’innovation.
La valeur probatoire de l’audit énergétique s’est considérablement renforcée ces dernières années. En tant qu’élément d’expertise technique, il peut être mobilisé dans différents contextes juridiques :
Dans les transactions immobilières, l’audit énergétique constitue un élément d’information précontractuel dont l’absence ou l’inexactitude peut engager la responsabilité du vendeur sur le fondement des articles 1112-1 et suivants du Code civil relatifs au devoir d’information.
Dans les litiges locatifs, l’audit énergétique peut servir à établir le caractère « énergétivore » d’un logement, notamment dans le cadre de l’application du décret n° 2021-19 du 11 janvier 2021 relatif au critère de décence énergétique.
Dans les contentieux climatiques, l’audit énergétique peut être utilisé pour démontrer l’engagement d’une organisation dans la réduction de son empreinte carbone, comme l’illustre l’affaire Grande-Synthe c/ État français (Conseil d’État, 19 novembre 2020).
En matière de gouvernance d’entreprise, l’audit énergétique s’inscrit dans le cadre plus large du devoir de vigilance instauré par la loi du 27 mars 2017 pour les grandes entreprises. Il constitue un outil d’identification et de prévention des risques liés à la transition énergétique, dont la méconnaissance pourrait engager la responsabilité des dirigeants.
La valorisation boursière des démarches d’efficacité énergétique représente un enjeu croissant pour les entreprises cotées. Les agences de notation extra-financière et les indices boursiers spécialisés (comme le CDP Climate Change ou le Dow Jones Sustainability Index) intègrent de plus en plus les performances énergétiques dans leurs évaluations. L’audit énergétique constitue alors un outil de communication financière stratégique.
Dans une perspective d’économie circulaire, l’audit énergétique s’inscrit dans une démarche plus globale d’optimisation des ressources. La loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a renforcé cette dimension en promouvant une approche intégrée des flux de matière et d’énergie.
La dimension territoriale de la valorisation énergétique se développe également, notamment à travers les Schémas Régionaux d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET) et les Plans Climat-Air-Énergie Territoriaux (PCAET). Ces documents de planification, rendus obligatoires par la loi NOTRe et la loi de transition énergétique, intègrent des objectifs de maîtrise de l’énergie qui peuvent se traduire par des dispositifs locaux de valorisation des économies d’énergie.
Vers une approche systémique de la performance énergétique
L’évolution du cadre juridique tend vers une approche plus systémique de la performance énergétique, dépassant l’échelle du bâtiment individuel pour considérer des ensembles plus vastes :
Les réseaux énergétiques intelligents (smart grids) permettent une optimisation dynamique de la consommation et de la production d’énergie à l’échelle d’un quartier ou d’une ville. La loi n° 2015-992 a créé un cadre juridique favorable à leur développement, notamment à travers les articles L. 111-73-1 et L. 121-8-1 du Code de l’énergie.
Les contrats d’autoconsommation collective, définis à l’article L. 315-2 du Code de l’énergie, permettent le partage de l’électricité produite localement entre plusieurs consommateurs. Cette mutualisation optimise la valorisation des économies d’énergie à l’échelle d’un îlot ou d’un quartier.
Les opérations d’aménagement intègrent de plus en plus une dimension énergétique globale, comme l’illustrent les écoquartiers et les zones à énergie positive. Cette approche territoriale de la performance énergétique nécessite des montages juridiques complexes associant contrats publics et privés.
L’audit énergétique évolue ainsi vers un outil d’analyse systémique, prenant en compte les interdépendances entre les différents usages et vecteurs énergétiques. Cette évolution ouvre de nouvelles perspectives de valorisation juridique des économies d’énergie, à travers des mécanismes de mutualisation et de solidarité énergétique territoriale.
